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xxpower
27 février 2007

xx power 11

Dans les jours qui avaient suivi la mort de Malik, malgré la discrétion dont lui avait demandé de faire preuve le Président de la République, Françoise avait organisé une vidéoconférence entre Abigail, Claire, Marie, et elle-même. La volonté de Françoise était de mettre sur pied une organisation des femmes, de lui dessiner un programme, dans les plus brefs délais. Elle voulait que les femmes leaders d’opinion soient informées avant l’annonce publique et aient pu jeter les bases d’une organisation. C’est ainsi que naquit la Women World Way. WWW. 3w.

WWW se posait en fédération internationale des organisations nationales de l’humanité féminine, chaque organisation nationale devant fédérer les organisations régionales.

Son programme consistait à conseiller, et si nécessaire à contraindre, les décideurs tant politiques qu’économiques de former leurs doublons féminins. Il était impératif que les femmes se trouvent aux commandes avant la disparition des hommes et que toutes les décisions soient prises pour assurer la transition la plus efficace possible. Chaque conseiller municipal, chaque député, chaque ministre, chaque chef d’entreprise, chaque ingénieur, chaque médecin chaque artisan devait former un remplaçant femme, de gré ou de force. Il devait en aller de même au sein de l’armée ou de l’administration de chaque pays, de chaque province. Il devait en aller de même au sein des instances internationales de tous ordres.

Son programme consistait à définir les priorités dans tous les domaines en fonction de l’avenir prévisible dont les hommes seraient absents, et à faire en sorte que ces priorités soient prises en compte.

Outre celui qui découlerait de la nécessité, le pouvoir des WWW aurait à s’asseoir par la grève, et si nécessaire par l’insurrection de l’ensemble des femmes.

La structure de la fédération et de ses sous-ensembles serait celle d’une association syndicale démocratique. Les fondateurs devaient pouvoir se mobiliser rapidement. La charte des WWW, comme ses statuts, et la check list des actions de prise de pouvoir, devaient être mis à la disposition de toutes les femmes dès que l’annonce de la mort des hommes serait effective.

La petite équipe rédigea en anglais et en français l’ensemble de ces documents de manière à ce qu’ils soient le plus concrets possible. Elle réunit également les fichiers d’adresses électroniques et physiques de toutes les femmes leaders d’opinion. Ces fichiers furent réunis par effet de boule de neige, en faisant appel à des amis sous des prétextes inventés. L’équipe des fondateurs n’hésita pas à faire usage de faux, usant des ressources de l’ONU des ministères, de la Commission européenne. Furent mis dans le secret ceux et celles dont la collaboration s’imposait.

Le vingt et un avril, Etienne et Louis avaient embarqué à bord de « L’Oiseau des Iles II » mouillé dans le port de Perros Guirec. Julie, Françoise et les parents d’Etienne étaient là. Ces derniers avaient tenté de dissuader leur fils d’entreprendre ce voyage qu’ils jugeaient trop vite décidé autant que mal préparé. Devant son inflexibilité, tant sur le principe que sur la date, ni la raison ni le chantage affectif n’étant efficaces, ils finirent par s’incliner. Les sourires du départ n’étaient sincères ni à terre ni à bord si l’on excepte ceux de Louis et Julie. Les femmes ne purent retenir quelques larmes. Les hommes s’exercèrent à cacher leur émotion.

Le bateau était un Privilège 48 entièrement refait. Le catamaran comportait cinq cabines, un grand carré, un cockpit aussi imposant, et le pont avait la taille d’un jardin de pavillon de banlieue. Etienne avait transformé les cabines tribord en bibliothèque et atelier. Les cabines bâbord revenaient à Louis qui disposait ainsi d’une chambre et d’un bureau. La cabine centrale était celle du chef de bord.

L’équipement comportait deux moteurs, un dé-salinisateur d’eau de mer, la climatisation, un GPS relié au pilote automatique via l’ordinateur du bord. Etienne avait laissé en place l’équipement VHF qu’il comptait mettre hors circuit dès que possible en se gardant la possibilité de l’utiliser hors des regards de Louis. Il s’était équipé des sondeurs traceurs et des radars dernier cri, mais il avait refusé de faire l’acquisition d’un téléphone satellite qui lui aurait permis de communiquer partout en mer avec le continent, et de recevoir les fax météo. Il prétexta un coût trop élevé, mais lorsque ses parents proposèrent de financer l’équipement il argua de la certitude que ce confort moral dénaturerait l’aventure. Françoise avait fait semblant d’abonder dans le sens de ses beaux-parents, tout en sachant que le lien avec la terre devait être le plus ténu possible. En contrepartie, Etienne avait accepté de faire installer une balise Argos sur le bateau. L’ordinateur était équipé de hauts parleurs et pouvait lire les compact discs. Il n’y avait à bord ni télé, ni radio.

Etienne avait également confié deux lettres à Françoise, pour plus tard, quand il n’y aurait plus rien à cacher. La première destinée à Julie, où il parlait des îles, du plaisir que son frère et son père prendraient à nager dans l’eau bleue, sans que Louis puisse se douter de la fin de l’aventure. La seconde pour ses parents, leur demandant de comprendre sa fuite, les priant d’expliquer à Julie qu’il l’aimait, qu’il serait parti avec elle si les circonstances l’avaient mises à la place de Louis.

A marée basse, le matin, toute la famille avait exploré le bateau, examiné les provisions, admiré les enrouleurs de voiles, les guindeaux électriques. Puis après un déjeuner de fête au manoir de Lann Kerellec, ils étaient revenus sur le port, attendant que la porte s’ouvre, deux heures avant la pleine mer. « L’Oiseau des Iles » II était parti au moteur, ils l’avaient suivi à la longue-vue du haut de la falaise. Les voiles avaient été hissées bout au vent, s’étaient gonflées. Ils avaient pu le voir doubler les Sept Iles, avant de le perdre de vue.

Il n’avait rien dit à Françoise qui pleurait en silence. Il l’avait serrée contre lui, brièvement, lui avait tapoté l’épaule, et avait enjambé la lisse avant du bateau. Louis promettait à ses grands-parents d’écrire un journal de bord et de leur envoyer des lettres dans chaque port.

-       Maman, ne pleure pas s’il te plait. On t’appellera à chaque escale, et quand je reviendrai, je pourrai te raconter ce que j’aurai vu pendant des jours entiers. C’est dommage que vous ne vouliez pas venir avec nous, toi et Julie.

-       Mon petit Louis, mon petit Louis…

Françoise ne savait que pleurer. Si Etienne mourait avant Louis…. Si leurs souffrances… Si… Et si tout cela était un cauchemar et que cette fuite n’ait pas de raison.

Claire se perdait dans le travail pour oublier de penser à son malheur. Elle formait équipe à plein temps avec Marie, ne se séparant d’elle que pour multiplier les prises de contact en vue de préparer les WWW. Même au cours de la nuit il arrivait à l’une de réveiller l’autre pour lui faire part de ses réflexions. Elles habitaient au Plateau, Claire ne souhaitant plus vivre là où elle avait été si heureuse avec Malik.

Plus nombreux devenaient leurs contacts avec les femmes qu’elles tentaient d’impliquer dans la constitution des WWW, plus le risque était grand de voir s’ébruiter la catastrophe. Les nouvelles des hôpitaux allaient dans le sens d’une confirmation de l’épidémie. Une soixantaine de cas de symptômes inexpliqués avait été rapportés à Claire, dont trente au seul service de réanimation de l’hôpital de Kaolak.

Les réactions des femmes africaines approchées par les deux amies et le petit groupe qu’elles formaient avec les premières recrues étaient diverses. Si presque toutes adhéraient à l’esprit du projet, certaines niaient l’évidence et refusaient d’envisager la gravité dramatique de la situation, certaines autres s’effondraient sans trouver un ressort qui leur permette de faire face. Les volontaires représentaient néanmoins la majorité.

Parmi les objectifs de la charte figurait en première place l’exigence d’une orientation massive de la recherche et du développement de la procréation non sexuée, clonage et parthénogenèse. Bon nombre des africaines s’attendaient à ce que le Sud soit bien mal loti en la matière et doutaient que l’Occident mette ses moyens au service des pays désargentés. L’indigence de l’aide au tiers monde dans la lutte contre le VIH avait montré le peu d'intérêt porté par les peuples suralimentés aux peuples mal nourris. Il y avait peu de chance que l’attitude des femmes occidentales ou japonaises soit plus altruiste que celle des gouvernants précédents au moment où elles auraient à faire face à des difficultés dont on pouvait déjà imaginer l’ampleur. La désespérance de certaines femmes venait en grande partie de cette pessimiste anticipation.

Claire n’avait pas pleuré depuis la mort de Malik. Elle avait supporté toutes les tensions depuis la nuit du viol. Depuis cette nuit là elle avait partagé le même lit que Marie, son amie, sa sœur, son réconfort. Tous les soirs elles entraient en relation par visioconférence avec Luc, Abigail et Françoise. Parfois l’un ou l’autre manquait au rendez- vous et se faisait remplacer par une recrue des WWW.

Le soir du six mai, à l’occasion d’une visioconférence avec ses amis des WWW, Claire annonça qu’on recensait trois cent morts au Sénégal. L’accès aux soins restant l’apanage des grandes villes, on pouvait estimer que le nombre réel des hommes atteints de la maladie des porcs devait être au moins de trois à cinq fois plus élevé. Les chefs d’État s occidentaux devaient certainement en être informés, mais les seules rumeurs qui se développaient provenaient de l’action des WWW. Claire proposa de lâcher l’information à la presse sous couvert de l’ORSTOM Il fallait éviter que leur projet soit contrecarré, ce qui pouvait se produire à tout instant si les pouvoirs en place y trouvaient intérêt. Mieux valait ne pas les laisser disposer de plus de temps. Cette proposition fut jugée prudente et acceptée.

Claire et Marie décidèrent de dîner au Lagon. Il faisait chaud, mais un petit souffle rendait la chaleur supportable. On entendait le chuintement des vagues sur le sable et une sorte d’aspiration lorsqu’elles se retiraient. Sur chaque table une bougie brillait dans un photophore en terre cuite. Le ponton était découvert. La clientèle comportait presque exclusivement des couples et quelques hommes d’affaires. Elles prirent place à une table à l’extrémité du ponton. Un bastingage, auquel on arrimait des bâches les jours de mauvais temps, permettait de se sentir en sécurité. Elles commandèrent des crevettes sauce diable et des darnes de thiof.

-       Non pas d’apéritif, une bouteille de gris de Guerrouane s’il vous plait.

-       Et de la poutargue.

La poutargue, c’est Malik qui l’avait fait découvrir à Claire. Un saucisson d’œufs de mulets comprimés et séchés, une sorte de tarama fabriqué en Mauritanie par les Imragens. Au Lagon, c’était l’un des « niama-niamas », des zakouskis pour apéritif. Claire voulait se montrer toujours aussi forte, mais elle était à bout de résistance. Pendant le dîner elle eut du mal à avaler quelques bouchées de thiof. Elle faisait répéter Marie, répondait à côté, son visage se figeait et son regard restait inexpressif.

Avant qu’on prenne la commande de leur dessert, Marie demanda l’addition. Elle saisit Claire par le bras et l’aida à monter l’escalier jusqu’à la corniche où elle héla un taxi qui les conduisit à son appartement.

-       Veux-tu que j’appelle un médecin ?

-       Non, mets la clim., s’il te plait.

Le vieux climatiseur faisait un bruit infernal. Claire se déshabilla et resta nue, les bras pendants, fixant le climatiseur sans le voir. Marie se sentit fondre de compassion. Elle avait l’habitude de la souffrance, son expérience de médecin au rabais lui avait fait côtoyer des maux inouïs. Elle avait su se durcir, pour étudier d’abord, et pour s’imposer à Fadiouth ensuite. Son caractère était si bien forgé, son intelligence si vive, qu’elle avait été remarquée par Françoise et était devenue l’une de ses intimes. Mais le courage de Claire ne cessait de l’impressionner. Qu’elle ait pu tenir si longtemps sans craquer la stupéfiait. Elle s’approcha de Claire, la serra dans ses bras. Claire était rigide, comme figée, comme transformée en statue de sel. Elle posa ses lèvres sur la joue de Claire près de l’oreille et lui murmura des mots doux en wolof, entrecoupant son discours de petits baisers. Elle lui caressait le dos, depuis les reins jusqu’à la nuque, et lui parlait, lui parlait, tout bas. Après quelques minutes Claire se mit à pleurer, d’abord en silence, et de plus en plus bruyamment. Ses larmes coulaient à flot, elle gémissait « Malik », criait des plaintes animales. Marie léchait ses larmes. Elles s’allongèrent l’une contre l’autre. Claire hoquetait et de temps en temps feulait une plainte ;  Marie parlait, la picorait de baisers, la caressait ;  puis elle s’endormit.

Au matin du 7 mai, Claire rédigea un communiqué de presse sur papier à en-tête de l’IRD qu’elle faxa à l’Agence France Presse à Dakar ainsi qu’au Soleil, aux différents journaux, et aux agences de presse représentées dans la capitale

Le 7 mai 2002, les autorités sanitaires du Sénégal, incapables de démentir l’information, firent savoir à la communauté internationale que plus de trois cents cas similaires à la maladie du porc, concernant des hommes, avaient été signalés au cours des derniers jours dans les hôpitaux du pays. A midi les services de la primature confirmèrent l’information. Au moins trois cents hommes étaient morts de la maladie des porcs.

Si de par le monde il survivait encore ici et là quelques truies c’est qu’on les avait cachées dans des enclos retirés. Quelques hardes de laies creusaient encore leur souilles dans les broussailles des forêts. En ce début du mois de mai, tous les cochons mâles avaient été éliminés par la maladie, les sangliers, phacochères, pécaris et potamochères aussi. Aux État s-Unis tous les élevages de porcs avaient été éliminés. Soixante-deux millions de têtes de bétail étaient parties en fumée en quatre mois et demi, soit une moyenne de quatre cent cinquante mille porcs par jour. Cela n'avait nullement constitué un exploit technique pour les abattoirs dont le rythme d'abattage normal était supérieur. En revanche, il avait fallu se donner les moyens de réaliser l'incinération des carcasses dont le tonnage venait en surplus des ordures et déchets ordinaires. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on avait assisté à la disparition d’une espèce animale domestique. Cela s’était produit en moins d’un an.

Toutes les agences de presse reprirent l'information en provenance du Sénégal. Elles inondèrent les rédactions de mises à jour heure par heure. Le mardi 7 mai 2002 fut la journée de l'annonce de la plus grande catastrophe de tous les temps. Après cette date, rien ne serait jamais plus pareil. Ce qui s'était passé pour les porcs allait se produire pour les hommes. Les "nous ne pouvons affirmer", les "il n'est pas avéré", les "toutes mesures seront prises", aucune minoration de principe, aucun appel au calme ne fut entendu. Dès le 7 mai, dans tous les pays, sous toutes les latitudes, on savait que les hommes allaient mourir.

Des rumeurs s’étaient répandues au cours des semaines précédentes, on parlait d’une organisation des femmes, on parlait du passage de « la Maladie » à l’homme. Les rumeurs étaient contradictoires et ne circulaient que dans les milieux généralement bien informés. La presse des grands quotidiens et des télévisions avait préféré garder le silence et n’en fit pas écho avant l’annonce du  7 mai.

Peu nombreux furent ceux qui dormirent. Les familles discutaient, les gouvernants discutaient, les savants discutaient. Les places et les rues furent noires de monde. On abordait des inconnus, on évaluait les nouvelles. Des bruits couraient, des plans s'ébauchaient. A Moscou, Pékin, New-York, à Paris comme à Tombouctou, Bobo Diou Lasso, Lima, Sao Paolo, dans chaque ville, dans chaque village, sous chaque toit, et sur tous les trottoirs, la vie avait changé. L'essentiel était en cause, les hommes allaient mourir. L’espèce humaine à leur suite allait disparaître. L'excitation côtoyait l'abattement. Les larmes, la rage, la peur, la terreur, la colère, la panique, la résignation, habitaient les uns, les autres, et chacun tour à tour éprouvait l'immense bonheur de vivre et l'horrible peur de ne plus pouvoir vivre.

L'imagerie médicale pouvait clairement affirmer la parfaite similitude des atteintes entre les hommes et les porcs. Les résultats des examens histologiques et biochimiques confirmèrent cette singulière identité des destructions. L’enzyme dont on avait trouvé des quantités anormales dans tous les tissus touchés par la dégénérescence chez les cochons se trouvait également en quantité surabondante dans les tissus nécrosés des hommes contaminés.

Rien ne permettait d'entrevoir la possibilité de trouver une parade chez l'homme alors que des mois de recherches n'avaient pas permis d'avancée chez le porc. De toute évidence l'avenir des hommes était compromis. Selon toute vraisemblance, les mâles du genre humain étaient voués à la disparition dans l'année.

Il ne fallait pas être grand clerc pour formuler cette extrapolation, ni pour en évaluer la parfaite pertinence. Le pouvoir des armes, de l'argent, de la science, n'y pouvait rien. Celui des églises, des grigris, pas plus.

Le regard des hommes sur les femmes, et le regard des femmes sur les hommes contenait désormais cette vérité. Elles allaient vivre, ils allaient mourir. Quelle que soit la distance que tel ou telle savait prendre avec cette nouvelle évidence, le sous-entendu majeur s'était à jamais installé. Elles vont vivre, ils vont mourir.

Au soir du 7 mai, la nouvelle avait fait le tour de la terre. Les télévisions avaient annulé toutes leurs émissions pour diffuser en direct des plateaux un débat permanent entrecoupé des déclarations des autorités de l’État , des experts, des hommes politiques de tous bois, et des premières femmes qui se revendiquaient des WWW qu’on appellerait désormais les 3w. Françoise, présidente de la fédération internationale des 3w, passa le plus clair de son temps devant les caméras. Il en fut de même pour Abigail aux État s-Unis, pour Marie au Sénégal. Des dizaines de femmes qui ne s’étaient jamais physiquement rencontrées mais qui avaient participé à la création des fédérations nationales remplirent le même rôle dans presque tous les pays. Elles parlèrent d’une seule voix, n’eurent qu’un seul discours, celui de la charte rédigée en grande partie par Luc.

Le 7 mai, le nom de WWW circulait un peu partout. On savait que des femmes créaient une gigantesque fédération des femmes. Les services des renseignements généraux en France et leurs équivalents dans les autres pays avaient identifié le projet, ses auteurs et son ampleur. Lorsque le Sénégal rompit le silence , Claire et Marie ayant judicieusement provoqué cette annonce , le monde fut inondé de messages électroniques . Dès le lendemain, des courriers , dupliquant à l’infini la charte, les statuts, et la check-list des WWW abreuvèrent les boîtes aux lettres, furent distribués sous forme de tracts et repris par tous les médias .

Les annonces furent quasiment concomitantes, un peu brutalement on pouvait ainsi les résumer : les hommes vont mourir, les femmes doivent dès maintenant apprendre à se passer d’eux pour le temps qu’elles auront à vivre.

Le 7 mai 2002 fut aussi le jour du plus grand nombre de suicides jamais enregistré. Le stress apparaît lorsqu'on est confronté à une situation inextricable, qu’on ne peut en rien modifier, qui nous piège, et à laquelle on ne saurait échapper que par une fuite, lorsqu’elle est possible. Ce premier jour du cataclysme, de nombreux hommes moururent de savoir leurs jours comptés. De nombreuses femmes mirent fin à leurs jours également. Les suicides représentaient la seule fuite possible avec les somatisations létales. Les crises cardiaques, les ulcères perforés se multiplièrent dès ce jour là, et leur augmentation fut constante par la suite.

Sans contre-feu, la déliquescence de la société était prévisible à court terme. Lorsque licence est donnée à l'homme de s'exonérer des règles du droit, il devient souvent barbare. Les armées en campagne l'ont assez démontré. Les gouvernements se devaient de mettre en place au plus vite les contre-feu nécessaires. Des contacts avaient été établis entre État s dès après la visite de Françoise au Président français.

Dans la plupart des pays démocratiques, les assemblées hautes et basses furent réunies dès le 8 mai. Les Présidents, chanceliers, premiers ministres, se firent voter les pleins pouvoirs et décrétèrent l’État  d'urgence. L'armée, la gendarmerie, la police, le ministère de l'Intérieur et de la Justice furent placés sous l'autorité directe des chefs d'État . Des décrets furent pris dans la foulée.

Les dirigeants de l'Union Européenne décidèrent d'un commun accord de rétablir non seulement la peine de mort mais également les peines de bagne dans la communauté. En France on instaura un couvre-feu à vingt-trois heures. Les directives du Garde de Sceaux recommandaient aux parquets d'appliquer systématiquement les peines maximales prévues, de réduire les durées d'instruction des dossiers. Les casernes vidées au cours de la décennie précédente du fait de la professionnalisation de l'armée furent réquisitionnées et transformées en prisons.

Les atteintes aux biens et aux personnes devaient être réprimées sévèrement alors que les délits de simple police ou les infractions aux lois réglementant les trafics de stupéfiants, les jeux, les mœurs, pouvaient être momentanément tolérés. Il convenait de sauvegarder le principal, la vie, l'intégrité et la propriété des citoyens. L'ordre social pouvait souffrir des entorses en toute autre matière, mais devait rester sauf de toute violence faite aux individus, comme de toute remise en cause de la répartition des richesses.

De manière à maintenir l'économie en marche, on veilla également à ce que les contrats liant employeurs et employés soient respectés de part et d'autre, comme on fit en sorte que les contrats commerciaux soient appliqués. Les contraventions au droit du travail comme au droit commercial furent également sévèrement sanctionnées.

Les mesures d'urgence permirent de maintenir un semblant d'ordre. A tout le moins, les usines produisaient, les bureaux crépitaient, les magasins distribuaient, les voitures roulaient. Mais tout le monde ne répondait pas à l'appel, loin s'en faut. L'armée et les forces de polices étaient mobilisées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Leur première mission était de se montrer. Les automitrailleuses et les chars stationnaient aux endroits stratégiques ou patrouillaient dans les quartiers. Un îlotage serré à moto, en voiture et à pied avait été mis en place. Les réservistes avaient été rappelés.

Dans le même temps les WWW se constituaient, se structuraient. Des contacts incessants avaient lieu à tous les niveaux de la société entre les organisations de femmes et les décideurs.

Dans le même temps chacun vivait ses malheurs privés, ses anticipations délétères, parfois ses bonheurs précaires ou ses folles idiosyncrasies.

Dans le même temps des révoltes grondaient, des réactions se formaient, des crimes se préparaient.

En ce début du troisième millénaire de l’ère chrétienne, alors que la Chine vivait les derniers jours du onzième mois de l’année Ji-Mao du soixante-dix-huitième cycle avant l’année 5678, année du dragon de métal, que l’Inde en était à l’année 3102 de l’age Kali Yuga, les juifs terminaient la cinq mille sept cent soixantième du leur, on était, dans les pays musulmans à la mille quatre cent vingtième année de l’hégire.

L’année de la mort des hommes fut ultérieurement adoptée par la totalité des nations comme année zéro d’un nouveau calendrier universel.

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