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xxpower
27 février 2007

xx power 3

Dès qu’elle fut seule Marie réfléchit à la demande de collaboration que lui avait faite Malik et Claire. Elle se sentait valorisée par leur visite, c’est elle qu’ils étaient venus voir en premier. Elle appréciait l’estime que Malik lui manifestait ainsi. La perspective de pouvoir mettre ses capacités en valeur l’excitait. Mais son temps étant entièrement pris par  les soins qu’elle assurait, elle ne voyait pas comment s’en sortir. En marchant sur le chemin de la concession de son oncle François Diouf elle ressassait tous les obstacles qui une nouvelle fois l’empêcheraient sans doute de mettre ses capacités en avant. Son oncle était assis dans l’enclos devant sa petite maison.

-         Diop m’a dit qu’il était allé te voir au dispensaire.

-         Oui, avec la fille qui est envoyée par l’ORSTOM

-         L’administration a l’air de prendre l’affaire au sérieux, ils m’ont demandé de t’appuyer pour établir un décompte de nos pertes. Ils veulent dresser l’inventaire des porcs dans tous les villages du Sine Saloum.

-         Je sais.

-         Tu as l’air d’être soucieuse.

-         Hum ! Je ne vois pas comment je pourrai m’occuper de ça et faire en même temps mon travail au dispensaire.

-         Alors choisis. Mieux vaut ne rien faire que de bâcler son travail. Qu’est ce qui est le plus important ?

-         Pour les malades c’est d’être soignés.

-         Et pour toi ?

-         Tu crois que mes désirs doivent entrer en ligne de compte ?

-         Non, pour toi qu’est-ce qui te semble le plus important ?

-         Cette maladie fait des ravages, mais est-ce que ma contribution a vraiment de l’importance, ça n’est pas sûr.

-         On a pourtant fait appel à toi.

-         Faute de spécialistes.

-         Oui.

-         Alors qui va s’occuper du dispensaire ?

-         La vieille Fanta pourra faire le tri, et on t’appellera pour les urgences. Il ne s’agit que de quelques jours. Ah ! Je vois que tu souris.

Marie souriait en effet. Elle brûlait de bâtir un rapport bien documenté, précis, méthodique. La littérature scientifique la passionnait et il n’était pas rare qu’elle emprunte à la bibliothèque de l’Université les thèses de médecine et de biologie qu’on y soutenait. Elle rêvait de pouvoir un jour se trouver devant un jury qui aurait à noter son propre travail. En trois jours et trois nuits, avec l’assistance de François Diouf, elle dressa un état de la situation sanitaire du cheptel porcin de l’arrondissement de Joal qui pouvait faire pâlir de jalousie bien des chercheurs patentés.

Le mercredi, Claire et Malik avaient pu rendre visite à leurs correspondants de Ndangane, de Samba Dia et de Fimela. Ils étaient rentrés fort tard à M'bour et, à sept heures trente ce mardi matin, ils roulaient déjà depuis une demi-heure lorsque le village de Tiadiaye fut en vue.

Claire avait rédigé son rapport après en avoir discuté avec Malik au cours du dîner qu'ils avaient pris seuls, sur le pouce, au bar du Cercle, et l'avait expédié par e-mail pendant la nuit.

Dans tous les villages chrétiens ils obtinrent sans difficulté la pleine et entière coopération des personnes rencontrées. En revanche, les autorités et professionnels des villages à majorité musulmane ne se sentaient aucunement concernés. Bien au contraire, nombre d'entre eux se sentaient injuriés et se disaient indignés qu'on puisse penser les impliquer dans une action relative à un animal aussi impur que le porc. Quelques-uns, traduisant sans doute une idée assez répandue, mirent en avant la main de Dieu qui ne s'abattait certainement pas sans raison sur la nourriture des « gentils ».

-         Malik, tu es musulman toi ?

-         Autant que tu me sembles être catholique. Je ne le dirais pas à ma mère, mais les dieux d'importation me semblent moins vrais que nos dieux indigènes qui pourtant ne m'inspirent ni crainte ni respect.

-         Tu es athée ?

-         Je n'aime pas croire, je veux savoir. Dieu est un mot qu'on met sur tout ce qu'on ne comprend pas. Je ne vois pas pourquoi compliquer ce que je ne comprends pas par l'ajout d'un deus ex machina lui-même tout aussi peu  compréhensible.

-         Tu dois te sentir un peu minoritaire dans ton pays.

-         Oui mais pas plus qu'un américain pensant comme moi le serait chez lui. Plus de quatre-vingt-dix pour cent de la population des État s-Unis d'Amérique se dit croyante.

-         Pas de doute, la France sera toujours d'avant-garde, même les beurs abandonnent l'Islam chez nous. Les musulmans ne vont pas nous faciliter la tâche ici. Dénombrer seulement les phacochères morts les dégoûte, ne parlons pas de les enterrer, ou de les brûler.

-         Certains imams refusent le simple fait que les chrétiens procèdent à ces incinérations pour éviter que la fumée ne rende tout le village impur.

Après Thiadiaye, ce serait Loul Sessene, Ngueniene, Ndiamana, Ngazobil et Mbodiene. Ils ne pouvaient pas rester plus d'une heure dans chaque village. Ce contact personnel, même bref, semblait capital à Claire qui savait que la mobilisation s'obtient plus facilement lorsqu'on s'adresse à un individu face à face que lorsqu'on parle à une foule. La réunion du jeudi serait sans aucun doute plus efficace après ces travaux d'approche.

Elle était reconnaissante à Malik d'avoir adopté son point de vue et de n'avoir pas rechigné à la tâche. Sa démarche assurée, ses épaules de lutteur lui donnaient également l’impression d’être protégée. Souvent elle se prenait à rougir en le regardant, ou lorsqu’ils se frôlaient en consultant un document.

En maintenant le même rythme jusqu'à l'heure de la réunion, ils pourraient visiter les vingt villages les plus importants de la zone. Les trajets en voiture leur permettaient d'échanger leurs points de vue et de se fixer des objectifs. Aux alentours de midi, ils revinrent à M'bour afin de déjeuner, prendre une douche, et changer de vêtements.

-         Je vous offre un apéro ?

Collura tenait le bar, un maître d'hôtel en chemise blanche à col sale et veste noire s'occupait du restaurant. Le chef de chantier, Christophe Bertaud, s'était approché de la table de Claire.

-         Pardon ?

-         Je vous offre un apéro ?

-         Non merci.

Claire repris sa consultation du menu. Elle avait l'habitude de ces dragues directes et ne s'en formalisait pas.

-         Je peux m'asseoir ?

Elle leva les yeux vers Christophe. Il avait l'allure d'un as du surf. Musclé, bronzé, les cheveux décolorés de soleil, l'air bravache.

-         Désolé, je suis accompagnée.

-         Alors une autre fois. Vous connaissez le coin ? Si vous voulez faire du bateau, de la pêche, de la plongée, ou chasser, n'importe quoi, je suis là. Je connais tout le monde. Christophe Bertaud.

-         Merci, c'est gentil.

-         On se voit ce soir si vous voulez. J'habite ici, chambre sept. J'ai une parabole. Quand vous voulez.

-         Merci.

Malik entra dans la salle du restaurant, salua Claire et l'homme qui se tenait près d'elle.

-         C'est votre copain ?

-         Nous travaillons ensemble, au revoir monsieur Bertaud.

-         Christophe, alors à ce soir ?

-         Je ne pense pas, merci.

Christophe s'éloigna en adressant un sourire condescendant à Malik.

-         Qui est ce type ?

-         Un don Juan de banlieue.

Ils en rirent, et Christophe qui atteignait le bar se retourna, l'œil dur.

-         Malik, j'ai consulté le news group. On signale l'apparition de la maladie dans le sud de la Chine, et en France.

-         C'est aberrant, qu'est ce qui pourrait expliquer une pareille coïncidence ? La contamination d'un produit ?

-         Je n'en sais pas plus que toi. Par ailleurs, je n'ai reçu aucun accusé de réception de mon rapport d'hier, ni aucune synthèse de l'activité des autres groupes au Sénégal.

-         Il est probable que les constatations soient à l'avenant des nôtres ; environ vingt pour cent du cheptel doit être déjà mort.

-         Sans doute. Le foyer initial a été identifié à Fadiouth. Que l'épizootie se répande en cercles à peu près concentriques cela semble normal. La rapidité reste étonnante ; mais que de nouveaux foyers se fassent jour aux quatre coins du monde, ça modifie le problème. Il existe forcément une cause commune, une même raison à la multiplication des foyers.

-         Si tel est le cas, les recoupements ne pourront manquer de les mettre en évidence.

-         Oui, il ne peut s'agir que de médicaments ou d'aliments pour le bétail. Et pourtant je doute qu'à Fadiouth et à Canton il soit fait usage des mêmes aliments pour le bétail. Les paysans d'ici n'utilisent même pas d'aliments industriels.

-         Il faut introduire ces éléments dans notre questionnaire, savoir quels produits, alimentaires et vétérinaires, ont été employés au cours des derniers mois.

-         Sur quelle durée ?

-         La plus longue possible, les vétérinaires et les exploitants pourront nous fournir ce qu'ils ont en mémoire ou dans leur comptabilité, les services des douanes produiront des informations sur autant de mois qu'on voudra.

-         Les phacochères n'ont certainement pas été vaccinés, pourtant ils sont atteints.

-         Cela signifie qu'il y a plusieurs modes de contage. Si la première infection est alimentaire, ou parentérale, l'agent utilise d'autres voies pour se propager.

-         C'est dingue.

-         Affolant tu veux dire.

Malik posa sa main sur celle de Claire.

-         Tu te souviens des bruits qui ont couru dans les années quatre-vingts à propos de l'épidémie de SIDA, on soupçonnait des laboratoires militaires, américains en général, d'avoir lâché par mégarde une arme bactériologique.

-         Oui, jusqu'à ce qu'on prouve l'origine simiesque du V.I.H.

-         On pourrait émettre le même genre d'hypothèse aujourd'hui.

-         Sans plus de preuve ni plus de pertinence. A nous de trouver l'origine et les chemins pris par cette saleté.

Le maître d'hôtel, qui s'appelait Samba, mais qu'on appelait Diallo pour ne pas le confondre avec le boy de la réception, apporta les entrées. Malik ôta sa main de celle de Claire sans qu'elle eut manifesté une quelconque gêne. Le moment était grave pour eux. Dans l’esprit du garçon ce rapprochement physique ressemblait à un geste de solidarité. Pourtant Claire se sentait envahie par le dèsir de se coller à son grand noir d’adjoint, elle imaginait des caresses, elle voulait de tout son être qu’il la pénètre, elle imaginait son sexe et frémissait. Evoquer ce fantasme au milieu d’une salle de restaurant augmentait encore son trouble. Malik buvait une bière La Gazelle, en bouteille de soixante centilitres. Claire avait demandé un Sprite. Christophe gardait le regard fixé sur leur couple. Collura chantonnait. Les ventilateurs de plafond brassaient l'air chaud. Toutes les fenêtres étaient ouvertes et la terrasse donnait un peu d'ombre. Des margouillats faisaient parade sur la rambarde.

Le restaurant était complet. Les derniers clients arrivés patientaient au bar. Pour la plupart ils travaillaient sur des chantiers de la petite côte. Les touristes préféraient les clubs de bord de mer. Un cuisinier préparait les grillades de poisson sur un grand barbecue en ciment qui avait été construit au bout de la terrasse. Quelques chats rôdaient entre les tables et parfois un chien jaune venait quémander les reliefs d'un repas. Les tables étaient essentiellement occupées par des hommes.

Leur repas terminé, les hommes allaient faire la sieste, dans leur chambre s'ils étaient résidents à l'hôtel, ou à l'ombre des filaos. La chaleur ne permettait pas un travail efficace en milieu de journée. Cette chaleur revenait toujours dans les conversations, souvent bruyantes, où il était rarement question des porcs, sinon pour se plaindre de la pestilence des charniers et des bûchers. Des auréoles de sueur marquaient  presque toutes les chemises.

Malik et Claire regagnèrent leurs chambres en se donnant rendez-vous au bar à quatorze heures. Christophe les suivit du regard. Il fixait encore la porte du couloir lorsque Malik revint après avoir pris sa douche et changé de tenue.

-         Toi, tu vas me laisser le champ libre.

-         De quoi parlez-vous ?

-         Cette fille, tu vas la laisser tranquille.

-         Vous avez toute latitude de montrer votre excellence, cher petit monsieur, mais je doute que votre degré de civilisation soit suffisant pour elle.

-         C'est pas un bougnoule qui va m'apprendre à vivre.

Malik se détourna ostensiblement et s'assit à une table éloignée dans la salle de bar.

-         Un café s'il vous plait.

Samba appuya sur le bouton du percolateur sans accorder la moindre attention à Christophe qui maugréait dans sa barbe.

Malik avait passé un doctorat de gestion à l'Université Paris Dauphine, après avoir décroché un diplôme d'ingénieur en hydrologie à Lyon. Le racisme ordinaire le laissait froid. S'il était revenu travailler au Sénégal, ce n'était pas guidé par l'intérêt personnel. Il ne se trouvait aucun mérite particulier d'avoir fait ce choix, ni même d'avoir accepté le premier poste qui lui avait été proposé en province, en brousse. Faire avancer les choses, c'est ce qui lui plaisait. L'argent ne constituait pas un moteur assez puissant pour lui ; il voulait construire, réformer, sans naïveté, sans orgueil, par plaisir.

Claire apparut vêtue d'une robe sans manche en toile bis, serrée à la taille par un ceinturon de cuir. Elle leva le bras en direction de Malik, sans prêter attention aux autres, et sortit.

Vers sept heures ils quittaient Ngazobil, ayant achevé leur périple du jour. Dans tous les villages on leur avait montré des cochons morts et d’autres qui se traînaient à moitié paralysés ; certains étaient agités de soubresauts, comme les moutons atteints de tremblante. On en voyait qui restaient inertes en attendant la mort, ils se vidaient de leur sang, ou la diarrhée les déshydratait. Dans tous les villages on avait creusé des fosses.

Ils roulaient sur les tanns, ces étendues de terre séchée, où la réverbération créait des mirages. Un lac semblait barrer le passage, puis s'évanouissait soudainement.

La piste longeait l'océan. Ils avaient réglé la clim. au maximum. Claire proposa une halte sur la plage pour prendre un bain.

-         Tu es sûre ?

-         Oui.

Claire le fixait en souriant. Depuis plus de six mois qu’elle était au Sénégal elle n’avait pas eu de petit ami. Ses seules relations étaient des camarades de travail dont aucun n’avait éveillé en elle le moindre désir. Elle était sûre de vouloir prendre un bain avec lui, jouer dans l'eau, courir à perdre haleine, et perdre haleine sans courir aucun risque avec lui qu'elle savait si fort, de la seule force qui compte, celle de l'âme, ou du cœur, ou du caractère. Elle dirigea le 4 x 4 vers la dune, et stoppa.

Ils se dévêtirent en hâte et se précipitèrent nus vers les vagues. Un rouleau plus haut que les autres se formait à quelques mètres de la rive, la barre. Les lames créaient une telle aspiration qu'on se sentait happé sous l'eau. Le sable s'effondrait sous les pieds

Claire, plus légère, se faisait emporter plus rapidement vers la barre. Elle s'accrochait à la jambe de Malik, dont l'effort devait doubler pour les hisser à nouveau vers le sable. Le soleil allait se coucher, en quelques minutes ce serait la nuit. Les crépuscules des tropiques sont trop brefs. Alors qu'il haletait de l'avoir tant de fois remontée sur la plage, Claire s'allongea sur Malik et posa ses lèvres sur les siennes.

Elle voulait se fondre en lui, le fondre en elle, se faire violente comme l'eau, douce et chaude comme le sable. Elle s'immergeait dans le désir, l'exultation, l'enthousiasme de s'éprouver intensément elle-même en se frottant à l'autre, dans l'excitation de se sentir faire corps avec l'autre et  de se prolonger dans le monde parce qu'elle devenait le monde par la vertu d’une sorte de magie sympathique.

Elle prit le sexe de Malik dans sa bouche et le fit pénétrer au profond de sa gorge qu’elle resserrait par à coups ; plusieurs fois de suite elle l’avala comme un sabre jusqu’à s’en étouffer puis ressortit le gland de manière à pouvoir le lécher. Les doigts de Malik s’immisçaient en elle. Claire s’empala sur lui, roula sous lui, gémit. Chaque détail surgissait à sa conscience comme sous une loupe et l'envahissait, elle se gorgeait de voir un grain de peau, de toucher un creux, de sentir une mèche, de goûter le sel, elle voulait dévorer, caresser, absorber, avaler, révéler, naître et mourir. Claire s'envolait, Malik en elle était un dieu grec, une bite de dieu grec.

-         Je suis folle, sans capote !

-         Et avec un nègre, fou de baiser une toubab sans capote.

-         J'aime ce nègre.

-         Ce soir.

-         Oui, ce soir.

La nuit était tombée. Ils auraient aimé rester là indéfiniment. Elle n’avait jamais aussi pleinement joui, c’était la première fois qu’elle faisait l’amour avec un noir, il n’avait jamais caressé une blanche. S’il restait sur la réserve c’est qu’il appréhendait la chute, lorsque la toubab en aurait marre de sa tocade.

Le service battait son plein au cercle. Les tables avaient été dressées sur la terrasse pour profiter de la tiédeur du soir. Des serpentins brûlaient, dégageant un parfum de citronnelle destiné à chasser les moustiques. Un photophore avait été disposé sur chaque table. Lorsque le brouhaha des conversations s'abaissait, on entendait le clapot des vagues et le bruissement du vent dans les filaos.

Malik et Claire marchaient enlacés, fiers, épanouis, souriants, seuls au monde. Ils prirent place dans un angle de la terrasse, et purent enfin se regarder. Il leur semblait vivre un miracle, une transfiguration des choses. Tout ce qu'ils voyaient avait plus d'épaisseur, de relief, de couleur, plus de sens. Ils se buvaient l'un l'autre, en se tenant les mains.

-         Qu'est ce qui nous arrive ?

-         Eh ! Je t'ai envoûtée avec mes grigris.

-         Tu as de bons grigris, je te permets de m'ensorceler.

-         A vrai dire, nous travaillons d'arrache-pied ensemble, nous sommes tous les deux isolés, il fait chaud, nous avons pas mal de points de vue en commun. Et il me semble que nos petites hormones suffisent à expliquer le phénomène. Pas besoin de marabouts, ni de sorciers, ni de grigris, tu es assez jolie pour te passer des sorts.

-         Sale romantique.

-         J'ai envie de passer de longs moments avec toi et de devenir ton ami.

-         Belle déclaration, je répète et je signe, J'ai envie de passer de longs moments avec toi et de devenir ton amie.

Les yeux de Claire se firent troubles, elle posa sa main sur la joue de Malik, lui caressa les lèvres. Un concert de crapauds buffles commença. C'était l'heure, chaque soir ; avec la fraîcheur, les batraciens faisaient musique. Des chauves souris se relayaient en vol plané pour boire dans la piscine. Les moustiques attirés par les lumières bleues du plafond se laissaient piéger sur les résistances électriques disposées autour des ampoules. Chaque mort produisait un petit grésillement.

Ils ne virent pas arriver Christophe. Il s'arrêta devant la table, vibrant de colère, asséna un grand coup de pied à la chaise de Malik laquelle tomba en entraînant le jeune homme. Christophe hurla :

-         Fous le camp d'ici !

Les conversations s'étaient tues. Christophe ruait comme un cheval. Malik fut sur pied en un éclair, entouré par plusieurs dîneurs des tables voisines qui venaient à la rescousse. Collura cria depuis le bar :

-         Virez-moi ce connard.

On entraîna Christophe à l'intérieur.

-         Va chercher tes fringues et ton fric, paye ta note et barre toi ou j'appelle les flics.

Malik adressa un signe de remerciement à ses voisins, et se rassit calmement en riant. Claire le fixait l'air inquiet.

-         Tu n'as rien ?

-         Rien. Si, honte pour lui.

La dispute continuait au bar. Samba rassembla les bagages de Bertaud, prit dans sa poche le porte-feuilles que l'ébriété de son propriétaire rendait accessible et le tendit à Collura. Celui-ci se paya et d'un signe engagea le boy à remplir son office de videur. Jean Radigois lança :

-         Et ton pari ?

-         Pfft !

Claire pencha son visage contre celui de Malik. Collura s'approcha d'eux et présenta ses excuses. Il avait tiré un trait sur son pari gagnant, il en avait connu la fin avant de le signer. Le chef de chantier avait perdu la face et ne viendrait plus débiter ses fanfaronnades au cercle, c'était ça de gagné.

-         Désolé, il vous a fait mal ?

-         Merci, ne vous inquiétez pas c'est sans importance.

-         La maison vous offre l'apéritif, est-ce qu'on a pris votre commande ?

Après une nuit trop brève au cours de laquelle ils n’avaient pu dormir que quelques heures et adresser leur rapport via Internet à Dakar, Claire et Malik prirent à nouveau la route. La pluie ralentissait leur allure. Il leur fallait aborder les flaques d'eau qui barraient les pistes avec précaution, tester la profondeur, faire parfois marche arrière pour manœuvrer. Ne parlant pas wolof, Claire aurait perdu beaucoup de temps avant de trouver les interlocuteurs que Malik parvenait à joindre très vite. Le constat des jours précédents se confirmait. Après l'apparition du premier cas, la maladie  des porcs mâles se propageait selon un rythme qui semblait adopter une courbe de doublement tous les vingt à vingt-cinq jours.

L'inventaire exhaustif et l'historique de l'épizootie, dont la réunion de Thiès devait permettre la réalisation, préciseraient cette évaluation. Les prochains jours donneraient une assise ferme aux extrapolations. Si la progression s'avérait exponentielle, l'endiguement de la maladie deviendrait une gageure.

Il était à craindre que les paysans minimisent leurs pertes en commercialisant des animaux morts ou malades.

Le travail de Claire et Malik  leur semblait surréaliste. La seule activité importante à leurs yeux était de s'embrasser, de se toucher, de se regarder, de se parler. Ils parlaient, mais uniquement de cochons morts, de catastrophes en vue, de putréfaction, de maladie. Ils agissaient professionnellement, tout en vivant l'ivresse d'un envoûtement qui leur faisait du bien. Avant Thiès ils arrêtèrent la voiture au bord de la piste et firent l'amour sous le crépitement des grosses gouttes de l'hivernage.

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