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xxpower
27 février 2007

xx power 12

Dale avait été contactée par les 3w vers le 25 avril. Elle décida, sans avoir besoin d’y réfléchir, de s’engager totalement dans le mouvement. Les amies qui faisaient appel à elle, dont Mona, connaissaient vaguement son champ de recherche sans se douter toutefois un seul instant qu’il recouvrait si bien les priorités de l’heure. Le choc de la nouvelle avait pour Dale été moins grand que l’excitation qu’elle ressentait d’avoir à jouer un rôle de premier plan, à vrai dire essentiel, dans la construction de la voie mondiale des femmes. Sans la recherche en génétique et biologie moléculaire, c’est l’humanité tout entière qui était vouée à la disparition. Dale savait qu’elle était parmi tous les chercheurs, celle qui était le plus avancée dans la fusion des noyaux ovulaires. Aussitôt après avoir répondu favorablement à l’e-mail qui sollicitait sa collaboration elle se rendit au bungalow de Magda.

Magdalena entamait son cinquième mois de grossesse. Les examens montraient que tout allait bien. Une petite fille grossissait en elle, baillait et donnait des coups de pieds. Les clichés d’échographie étaient accrochés au mur. Elles avaient décidé de la prénommer Adama, l’Adam féminin, celui de Dale et Magda, leur premier enfant A-DA MA.

-       Qu’est ce qui t’arrive, tu es toute rouge ?

-       Tu vas devenir la femme la plus importante au monde.

-       Tu délires, ma belle ou quoi ?

-       La maladie des porcs atteint maintenant les hommes. Seules les femmes vont survivre.

-       Oh ! Non ! Ce serait trop horrible. Tu n’en es pas sûre hein ?

-       Malheureusement c’est plus que probable.

-       Mon père, mes frères, tu crois qu’ils vont mourir ?

-       Sans doute.

-       Il faut que je reste avec eux, que je les aide s’ils sont malades. Dale oh ! Dale je ne peux pas te croire. Mais la médecine…

-       N’y peut rien. Magda, tu ne peux rien faire pour éviter que ta famille échappe à cela. La seule aide que tu puisses leur apporter est une aide matérielle, et j’y participerai aussi. Crois-tu vraiment qu’ils seraient soulagés si tu leur rendais visite alors que tu es enceinte et que tu n’as pas de père à présenter ?

-       Mais alors je ne les reverrai plus ?

-       Tu pourras leur parler par vidéoconférence, et leur envoyer plus d’argent qu’ils n’en ont jamais vu.

-       Tu veux dire qu’on va être riches ?

-       Oui, c’est peut-être accessoire en regard des bouleversements à venir, mais nous allons devenir riches et célèbres. Ca n’est pas forcément enviable tu sais. Nous allons être la cible des médias, nous devrons afficher une partie de notre vie privée, nous aurons bien du mal à préserver une parcelle d’intimité.

-       On ne peut pas y échapper n’est-ce pas ?

-       Non, et d’autant moins que notre vie privée est potentiellement désormais, qu’on le veuille ou non, une affaire d’État . Notre expérience constitue le plus grand espoir qui puisse être offert aux femmes du monde entier. Notre expérience ne peut moralement pas, en admettant que cela soit matériellement possible, échapper aux chercheurs, et pas plus aux journalistes. Nous pouvons seulement choisir notre heure.

-       Comment cela ?

-       D’abord en quittant Tijuana. Je te propose de venir dès ce soir à San Diego avec moi. Il ne faut pas que le CAPRI nous tienne à sa merci, or dès que la société-mère sera informée de ce que représente son programme notre liberté risque d’en être gravement entravée. Je ne veux pas laisser les fruits de mes recherches profiter à une société en particulier. Je veux les publier très vite, les faire entrer dans le domaine public.

-       Tu veux me faire passer la frontière en fraude ?

-       C’est bien ce qui était prévu non ?

-       Oui. Mais je te dis oui OUI ! OUI ! OUI ! à pleine voix ma Dale.

-       Tu pourras tenir dans le coffre de ma voiture pendant dix minutes n’est-ce pas ?

-       Une heure si tu veux. Quand partons-nous ?

-       Ce soir, à l’heure où les douaniers laissent passer sans regarder les voitures qui portent le badge des travailleurs frontaliers. Ma Thunderbird ne fait pas vraiment véhicule de passeur hein ?

-       Je vais préparer mes affaires.

-       Pas plus qu’un sac de plage, il faut que l’alerte soit donnée le plus tard possible. Demain nous quitterons San Diego pour New York. Là bas on sera à l’abri le temps nécessaire.

-       Embrasse-moi Dale, embrasse-moi pour serrer Adama entre nous.

Elles quittèrent l’Institut à l’heure prévue et franchirent la frontière sans que quiconque prête attention à la voiture sportive de Dale. A peine un quart d’heure après leur départ, Magdalena posa le pied sur le sol béni de l’Amérique du Nord et s’assit à la place du passager.

Dale avait réservé une surprise à son amie. Les murs de sa chambre étaient couverts de photographies de Magda, et le dressing regorgeait de robes pour elle, de chemisiers, de chaussures, de jeans, de tous les vêtements luxueux dont elle avait toujours rêvé. Elle essaya tout, se mirant dans la glace en pied qui fermait le dressing. Elle s’exclamait comme une gamine, enlaçait Dale, s’habillait, se déshabillait, babillait, dansait.

-       Je n’espérais pas te faire tant de plaisir !

-       Dale, quand j’aurai accouché je veux que tu portes un enfant de moi.

-       C’est promis, nous en aurons une ribambelle. Maintenant il faut que nous préparions les bagages.

Le lendemain soir Mona les attendait à l’aéroport quand elles débarquèrent à New-York. Mona était une ancienne condisciple de Dale, et avait été pendant près de six mois sa petite amie à l’Université où désormais elle enseignait. Elle disposait d’une jolie maison à Brooklyn. C’est elle qui avait pressentie Dale pour les 3w sans se douter des espoirs que Dale était en mesure d’offrir à toutes les femmes. Lorsque les présentations furent terminées, Mona demanda à Magdalena, que Dale lui avait présentée comme une amie, de combien de mois elle était enceinte et où se trouvait le père. Il fallut bien la mettre dans la confidence.

-       Magda est ma , ma…

-       Ta femme.

-       Oui tu es ma femme.

Mona écarquillait des yeux. Si elle avait eu une liaison elle-même avec Dale, et si elle se doutait bien du genre de relation que les deux amies entretenaient, l’expression femme la surprenait.

-       Vous vous considérez comme mariées, c’est ça ?

-       C’est plus que ça. L’enfant qu’attend Magda est de moi, enfin de nous deux.

-       Non ? Qu’est-ce que c’est que ce fantasme ?

-       Mais Mona, ça n’a rien du fantasme, c’est la réalité. Tu es la première à en être informée. J’ai réussi à rendre possible la fusion ovulaire.

-       La fusion ovulaire ne marche pas, tu le sais bien.

-       Dans la nature non. Au laboratoire, ceux qui l’ont tenté se sont heurté au problème de l’empreinte parentale, certains gènes ne s’exprimant correctement que s’ils proviennent du père, et d’autres seulement s’ils proviennent de la mère. Lorsqu’on pose bien le problème, on s’aperçoit que ce ne sont pas les gènes qui sont en question mais le « switcher » qui va ouvrir ou fermer la serrure qui active ou bloque leur expression ; c’est à cette serrure qu’il faut s’intéresser et aux clés qui l’ouvrent.

-       Tu me dis que tu as trouvé le moyen d’effacer l’empreinte parentale ?

-       Eh oui, je savais que c’était possible puisque j’avais réussi à débloquer ce phénomène d’imprinting chez les rongeurs.

Dale expliqua les recherches dont elle avait fait le sujet de sa thèse. Elle apprit à Mona comment elle était parvenue à déterminer les bons dosages d’enzymes dans le milieu de fusion. En laboratoire il s’était agi dans un premier temps de petits rongeurs. Puis l’expérimentation des mêmes principes, mettant en jeu les mêmes substances, sur d’autres mammifères avait permis de valider les protocoles. La transposition à l’homme n’était qu’un prolongement naturel des premières fusions ovulaires.

-       C’est fabuleux. Mais, tu n’as fait aucune communication, je n’ai rien lu là dessus.

-       Ma thèse a été reconnue puisque j’ai décroché mon PHD, mais je n’ai pas souhaité publier.

-       Pourquoi ?

-       Tout simplement par ce que j’ai été engagée par une société qui souhaitait mettre en œuvre mes procédès et qu’il fallait rester discret.

-       Et maintenant que vas-tu faire de ton expérience ?

-       Maintenant c’est tout différent, je vais communiquer tout mon travail par le menu ; il n’est plus question de brevet ou de je ne sais quel secret. Mais je ne présenterai Magda qu’après la naissance de notre fille.

-       Pourquoi veux-tu attendre, Dale ?

-       Pour t’éviter d’inutiles fatigues et te préserver de toute reconduite à la frontière. On ne sait pas encore ce qui est possible, ce que peut déclencher l’annonce de la mort prochaine des hommes.

-       Je ne parviens pas à me faire à cette idée que les hommes vont disparaître.

-       Mona, la vie pourrait se définir comme une suite de deuils. Celui là est particulièrement monstrueux mais de tous temps, en tous lieux cela a été ainsi, ce qui a été disparaît, et ceux qui restent doivent en faire le deuil.

-       Il y a quand même un changement d’échelle, non ?

-       Une précipitation du temps, mais l’échelle ne change pas la nature de la chose. Ce deuil est une révolution universelle, d’accord. Lorsqu’une mère perd un enfant, elle vit une révolution individuelle ; lorsqu’on perd ses illusions, on fait le deuil de ce que l’on avait rêvé d’être ; lorsque je suis née, le monde sans voiture où les bateaux n’avançaient qu’à la voile avait disparu…

-       Tu as toujours aimé tout mélanger.

Elles éclatèrent de rire. Le goût du paradoxe n’avait pas quitté Dale. Mona était petite, très brune, le visage hâlé. Elle portait une robe stretch qui moulait un corps vigoureux. De petites ridules au coin de ses yeux, en traits rayonnants, trahissaient son amour de la vie.

-       Moi les hommes vont me manquer.

-       Si tu me permets d’en remettre un couplet, je peux t’affirmer que tu as le loisir d’en faire ton deuil. La vie est courte, les journées sont brèves, il y a tant de choses à vivre qu’on ne pourra pas tout vivre. Si tu as vraiment envie de vivre, les hommes ce sera comme la marine à voile et le monde sans autos, un souvenir délicieux. Mais si tu as vraiment envie de vivre, misère, tu ne pourras pas tout faire.

-       C’est une bonne nouvelle alors cette maladie ?

-       Mais non, ni bonne ni mauvaise. Ce qui est bon ou mauvais c’est ce que tu choisis de faire des évènements.

-       Alors là tu y vas fort, il n’y a pas d’événement mauvais ? Une maladie ça n’est pas mauvais ?

-       Si, si, je suis d’accord ; il n’y a de bon que ce qui provoque plaisir, satisfaction ou contentement. Mais pour avoir le maximum de plaisir de satisfaction ou de contentement il faut considérer les faits et exercer sa vie à en tirer le meilleur parti, quels qu’ils soient.

-       Heureux caractère ! Il faut ! Il faut ! Peux-tu admettre que ton attitude volontariste n’est pas vraiment équitablement distribuée parmi les êtres humains ?

-       Oui, voilà du travail pour les généticiens, dont tu es ma chère Mona.

-       On a un autre travail plus urgent, c’est la mise sur pied des 3w. Tu imagines le coup de tonnerre que représente ta découverte, c’est un espoir fabuleux pour tout le monde. Il faut l’annoncer le plus vite possible.

-       L’annoncer, oui, mais nous ne ferons connaître Magda en chair et en os que lorsqu’il sera certain qu’elle n’aura rien à craindre.

-       Evidemment. Je travaille aux côtés des instigateurs des 3w. Tu as certainement vu Abigail Rosen à la télévision. Avec Luc Prémion elle pilote le staff de l’organisation à New-York. Ce sont des proches de Françoise Garnier, on se trouve avec eux aux premières loges du mouvement.

Le soir même Mona leur avait communiqué l’incroyable nouvelle et dès le lendemain elle présenta Dale à Luc et Abigail.

Lorsque Luc lui sourit en disant « Morituri te salutant », Dale sut qu’il serait le dernier homme de sa vie, il lui ressemblait.

A son retour de Perros Guirec Françoise se rendit à l’atelier de Stéphane. L’odeur de térébenthine emplissait encore l’atmosphère, mais il n’y avait pas de toile en chantier. Stéphane écrivait, dictait, discourait devant une caméra vidéo qu’il avait installée en lieu et place de son chevalet. Puis il montait ses rushes, filmait à travers la ville, interviewait à tout-va, engageait des acteurs pour jouer des scènes de son invention. Son œuvre prenait un tour didactique. Après l’abattement que la nouvelle annoncée par Françoise avait provoqué, il s’était retrouvé dans la colère, la révolte, et la prophétie. Il voulait éviter aux femmes les errances de la société patriarcale et, du silence, avait migré vers le prêche.

Au cours des deux dernières semaines Françoise n’avait guère eu l’occasion de rencontrer Stéphane. Ils s’appelaient chaque jour et avaient passé quelques heures ensemble, le matin très tôt avant de se rendre au ministère.

La cellule interministérielle demeurait théoriquement sous la direction de Françoise qui ne s’en occupait pourtant plus guère. Elle dépensait toute son énergie à la mise en orbite des 3w. Son activité ne pouvait avoir échappé aux autorités qui n’avaient aucunement tenté de s’y opposer. On ménageait la chèvre et le chou, semblait-il, au cas où. Julie était restée avec ses grands-parents et Françoise se sentait libre à nouveau. Elle était comme en manque, elle était en manque.

Lorsqu’elle entra dans l’atelier et que Stéphane la vit, il se dirigea vers elle comme elle se dirigeait vers lui. Ils se sentirent tout à coup envahis l’un de l’autre, forts de la force et du désir de l’autre, et faibles de ces faiblesses que donne la fièvre. Ils savaient si bien se prendre et s’abandonner qu’un sentiment océanique les coulait dans ses flux et reflux comme s’il s’était agit de la seule réalité possible. Ils se sentaient l’un à l’autre évidents.

-       Comment pourrai-je vivre sans toi ?

-       Tu ne pourras pas, et je vivrai en toi. Tu connais ces paroles de « l’affiche rouge » : « Sois heureuse et pense à moi souvent, et je te dis de vivre et d’avoir un enfant » ?

-       Oui.

-       Alors je te le dis.

-       Non.

-       Ce qui se passe entre nous c’est la vie. Je te dis de vivre. Sois heureuse et pense à moi souvent. Si c’est possible je voudrais que tu aies un enfant.

-       Oui.

-       Fais enlever ton stérilet, je veux te faire une fille.

-       Stéphane, j’ai déjà fait enlever mon stérilet. Dieu veuille que nous ayons une fille. Dieu veuille qu’un garçon de toi n’ait pas à mourir dans mon ventre.

-       Je doute qu’il y ait un dieu dans cette affaire de pile ou face.

Ils se murmuraient à l’oreille pour adoucir l’horreur des adieux prolongés. Chaque rencontre était désormais celle de leurs adieux. Et l’horreur se muait en bonheur. Aux échanges amoureux s’ajoutait maintenant le désir nouveau de procréer. Ce jour-là et tous les suivants, il leur apparut que l’espoir de faire fusionner deux de leurs cellules augmentait encore leur plaisir de se fondre. Chaque rencontre était désormais celle de leur futur.

Mona avait présenté Dale à Luc et Abigail. En très peu de temps ils devinrent intimes. C’était sans doute le vingt-sept ou le vingt-huit mai, en sortant du bureau d’Abi à la FAO, qu’ils étaient allés dîner dans un restaurant de sushis sur la deuxième avenue, aux abords de la quarante-deuxième rue. Le poisson cru était à la mode et le restaurant à la pointe de la mode. Ils s’installèrent tous les trois dans une alcôve fermée par des aquariums, Luc entre les deux femmes. Dale et Abi avaient toutes les deux obtenu un PHD en biologie moléculaire, la discussion qu’elles avaient passait au-dessus de la tête de Luc et il s’efforçait de leur faire adopter un langage moins technique. Les recherches abouties sur la fusion des ovules enthousiasmaient Abigail qui voulait comprendre toutes les démarches scientifiques de sa nouvelle amie. Amie car l’une et l’autre s’étaient immédiatement trouvé de multiples affinités. La mise sur pied des 3w enthousiasmait Dale et la présence des  deux femmes aussi belles l’une que l’autre et à l’esprit l’une et l’autre aussi affûté enthousiasmait Luc.

-       J’ai envie de vous croquer, toutes les deux.

Dale éclata de rire, et Abigail surenchérit. Depuis qu’il savait sa mort prochaine, Luc ne voulait plus surseoir à la satisfaction de ses désirs pour autant qu’ils ne lui semblaient pas devoir mettre en péril l’essentiel de ce qu’il lui restait de temps à vivre. Il avait passé un bras derrière la nuque de ses deux voisines et les rapprochait vers lui. Abi n’offrant pas de résistance particulière il se pencha vers elle et l’embrassa longuement tout en caressant le cou de Dale. Lorsqu’il se tourna vers elle, Dale sut que son pressentiment du matin était fondé. Elle offrit son visage aux baisers de Luc, et baisa les lèvres d’Abi lorsque Luc rapprocha leurs visages, et ils s’embrassèrent tous les trois, s’entre-léchant en  riant.

Aucun d’entre eux ne se serait permis une telle licence quelques mois auparavant, tout au moins aucune d’entre elles. C’est « autre chose  que la compassion » qui les y autorisait aujourd’hui. Le mensonge n’étant plus de mise, ni même la dissimulation, Abigail ne se sentait pas menacée, elle savait combien Luc lui était attaché. Dale savait que Luc serait son dernier homme. Et Luc voulait vivre tout, tout dévorer, jouir d’aimer deux femmes qui allaient s’aimer pour elles et pour lui.

Dale devint leur « invitée ». Ils passèrent fréquemment des nuits ensemble. Parfois ils ne se voyaient pas pendant plusieurs semaines.

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